Vie
Mon regard est penché vers le sol, comme lesté d’un poids trop lourd pour mon corps si frêle. En dessous de moi, une surface plane, grise, couverte de poussière. Une route. Cette route, elle s’étire dans le lointain, si bien que je ne peux en voir la fin. Car je n’en suis qu’au tout début de ma vie et je sais qu’il me reste beaucoup de chemin à parcourir avant que mon histoire ne se termine. Mais je n’ai plus envie de me plier à ces règles qui me forcent à marcher en silence, comme une bête sans conscience. Le courage a disparu de mon monde…
Le poids de mon regard s’amoindrit et j’aperçois d’autres personnes flottant comme moi au-dessus de ce sentier. Certains sont en avance sur moi, d’autres traînent en arrière... Mais tous ont le regard fixé sur la ligne d’arrivée. Pourquoi tous ces gens sont-ils si pressés ? Pourquoi ne s’arrêtent-ils pas de temps en temps pour reprendre leur souffle, pour observer ce qui les entoure ? Parce qu’ils sont aveugles. Ils ne cherchent pas à comprendre pourquoi ils sont là, ils veulent juste tenir jusqu’à la fin. Je m’arrête, brisant la fragile harmonie de la course. Les regards des autres ont disparu de mon monde…
Je lève les yeux, les chaînes de mes doutes enfin détruites. Peu importe de comprendre, il suffit de vivre. Et de rêver. Dans le ciel, aucun nuage ne m’offre l’occasion de me distraire. Pourtant, j’aimais à essayer de déchiffrer ce que voulaient me dire les nuages. Parfois, ils avaient une forme étrange, qui me faisait penser à un oiseau ou à un serpent, ou encore à une autre créature ou objet issu de mon imagination. Je m’allonge sur le sol, seulement désireux de rester là et de me reposer en paix. Le rêve a disparu de mon monde…
Il ne me reste plus rien, sinon la solitude et mes sombres pensées pour me tenir compagnie. Les yeux fermés, je tente mentalement d’arrêter ce mouvement perpétuel de la vie, je veux refaire le monde pour que tous les gens s’aiment enfin et arrêtent de penser à leurs petits plaisirs personnels et solitaires mais je ne sais pas comment faire… Alors je plonge lentement dans l’obscurité et peu à peu, je ne pense plus à rien, je me laisse bercer par les pas des autres, qui poursuivent leur chemin, ignorants. Quand je sens un contact contre mon épaule, mes yeux s’ouvrent d’eux-mêmes. Devant moi, une jeune femme me tend la main pour m’aider à me relever. Souriant, je la prends et recommence à marcher. Mais quelque chose a changé : tous les deux, main dans la main, nous arpentons ce monde, contemplant le paysage autour de nous. Soudain, je comprends : l’espoir n’a jamais quitté mon monde…
(©, Forge-Rêves)