Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Pensées d'un Forge-Rêves

6 novembre 2010

Vos désirs sont... désordres !

Devant moi se trouve une femme aux longs cheveux bruns. Elle affiche un joli sourire sur son visage fin mais ses bras croisés devant elle m'indiquent qu'elle est sur la défensive. Ce qui est dommage dans ce lieu puisque le but est de faire des rencontres...

« Bonjour.

- Bonjour.

- Êtes-vous heureuse ? »

Cette question directe la laisse bouche bée. Elle décroise les bras et pose ses mains à plat sur la table, en signe de... de quoi ? De colère ? De tristesse ?

« Si je suis ici, c'est pour quelque chose, il me semble. Pour faire des rencontres. Je n'aime pas ce genre de lieu mais bon, je viens plus pour passer le temps qu'autre chose. Je suppose que je m'ennuie. Ici comme ailleurs, comme partout, que je sois au boulot ou dans mon canap'. Je ne suis pas passionnée par grand chose. »

Je souris à mon tour pour montrer que je suis à son écoute. Ce rendez-vous s'est transformé en une sorte d'entretien thérapeutique. Je reste silencieux quelques secondes avant de répondre :

« Vous savez, l'ennui se combat facilement. N'y a-t-il pas quelque chose que vous avez toujours eu envie de faire ? Un acte que vous jugez comme fou ou dont vous avez peur ?

- J'ai toujours eu envie de partir en voyage aux Etats-Unis... mais seule, je n'ose pas.

- Faites-le ! Trouvez un hôtel sur place, partez seule et vivez ! Pourquoi ne le feriez-vous pas ? Il suffit de prendre un billet d'avion et de partir, tout simplement.

- Même si je le voulais, je ne le pourrais pas. J'ai une fille, elle est trop jeune pour pouvoir partir avec moi et quelques problèmes financiers m'empêcheraient de la faire garder. Tout n'est pas si simple monsieur...

- Lyam.

- Étrange comme nom... moi c'est Julie.

- Enchanté. »

Un gong retentit dans la grande salle et une voix s'écrie : « Le temps est écoulé ! Veuillez vous lever et vous rendre à la table qui vous sera indiquée par nos hôtesses, merci. ». La conversation rompue, je reviens à la réalité du lieu. Une vingtaine de raclements de chaises se fait entendre dans la salle. Les hommes se lèvent, les femmes restent assises. J'ai toujours trouvé ce type de lieu absolument inutile. Le speeddating. Comment percevoir la personnalité d'un interlocuteur en seulement cinq minutes ? Comment lui donner envie de vous revoir ? Comment faire pour ne serait-ce que commencer une conversation ? Je fais un sourire à ma compagne de ces dernières minutes et me lève à mon tour avant de me diriger vers une hôtesse qui m'indique ma prochaine rencontre. Je me rends jusqu'à la table et m'assois. Le gong retentit, nous pouvons commencer à parler.

« Bonjour.

- Bonjour.

- Êtes-vous heureuse ? »

J'aime cette attaque vive, précise. Généralement, en fonction du temps de réponse de la personne, des mots employés, on en apprend beaucoup plus vite sur la personne qu'au terme d'une discussion sur un style de musique ou sur ses films préférés. La jeune femme blonde en face de moi fronce brusquement les sourcils et fait une moue embêtée.

« Monsieur...

- Lyam.

- … êtes-vous un de ces pervers qui cherche à mettre un comprimé dans mon verre avec l'espoir de pouvoir m'enlever à la fin de la soirée ?

- Non mademoiselle, je suis simplement un être humain, cherchant à comprendre ce qu'il peut se passer dans la tête des gens, cherchant à attraper leurs pensées, à les prendre en mon sein. Mon but n'est guère de vous importuner mais bien de vous aider à vivre.

- C'est bien ce que je disais... Partez. »

Je souris et fais racler ma chaise sur le sol. Ce bruit isolé attire les regards et je vois Julie hocher la tête de droite à gauche en souriant. Je réplique par un sourire et un haussement d'épaules. Puis, je monte sur ma chaise.

« Mesdemoiselles, messieurs. Veuillez m'excuser pour cette irruption dans vos conversations sans doute très intéressantes mais j'ai quelques petites choses à vous dire. Plutôt que de passer devant chacune d'entre vous, mesdemoiselles, je vais vous interroger directement, vous tous qui m'observez à présent d'un air ahuri. Messieurs, je vous autorise également à me répondre, bien que vous ne soyez guère mon genre. Et avant de me demander de partir, réfléchissez simplement à cette question : Êtes-vous heureux ? »

Une simple introduction. Je me sens à l'aise maintenant que je suis debout sur ma chaise, une foule devant moi. C'est l'endroit où je me sens le mieux, là où je peux les faire penser et recueillir le fruit de leurs débats intérieurs. Je veux comprendre mais tiens également à accuser.

Une des hôtesses s'approche de moi et me fait signe de descendre, de reprendre ma place dans le rang. Comme le ferait un mouton. Ou un homme sans âme. Mais Julie décide d'entrer dans mon jeu en disant ce que tout le monde aurait voulu dire à sa place :

« Bien sûr que non, monsieur. Sinon, nous ne serions pas là aujourd'hui.

- Exactement. Vous cherchez le bonheur. Vous cherchez une personne qui saura vous rassurer, vous aider lorsque vous serez en difficulté, peut-être un ami ou une personne pour assouvir vos désirs sexuels, que sais-je ? Peu importe la raison. Vous venez ici parce que vous avez envie d'y être. Parce que vous en avez pris la liberté. Alors maintenant que je sais que vous n'êtes pas heureux, je vais vous poser la question suivante : qu'est-ce que la liberté selon vous ? »

J'espère captiver mon auditoire le plus rapidement possible. Je sais que mes propos sont nébuleux, que je divague, mais j'utilise des termes forts, des mots puissants pour qu'ils restent avec moi, qu'ils m'accompagnent dans ce débat, esprit contre esprits. Je vois un jeune homme lever la main pour me répondre. Il doit avoir la vingtaine, sûrement un étudiant vu la façon dont il se tient sur sa chaise, droit, attentif. Je lui donne la parole d'un geste du menton.

« La liberté est un ensemble de droits et de devoirs ne devant pas gêner ceux des autres citoyens. Je suis étudiant en droit.

- J'en ai rien à foutre. Cette définition n'est-elle pas des plus nébuleuses ? C'est évident, quand on y pense. Mais franchement, qu'est-ce qu'on en a à branler ? Comment peut-on être libres dans cette société de contrôle ? Nous vivons dans une société où tout est calculé minutieusement. La moindre action que vous effectuez est classée, cataloguée. Et ce contrôle, c'est vous-même qui l'effectuez et le rendez le plus contraignant possible. N'avez-vous jamais regardé de travers une personne dont vous avez entendu parlé, en bien ou en mal ? N'avez-vous jamais rangé des gens dans une catégorie « connard fini » ? Je peux vous prendre un exemple. Une femme trompe son mari. Ses amies féminines disent d'elle qu'elle mériterait d'être découverte. Ou, plus prosaïquement, qu'elle est une salope. Ses amis masculins disent d'elle qu'elle aime le sexe ou qu'elle n'est pas heureuse, ou encore qu'ils pourront peut-être se la faire vu comment elle a soif de bite. »

Mes propos choquent mais ils ont le mérite d'être vrais. La seule raison qui fait que je peux encore parler, c'est l'hôtesse principale qui me dévore des yeux. Sans s'en rendre compte, elle donne de la valeur à mes propos : elle ne me juge que par mon physique et ma façon de parler, pas sur le contenu de mes paroles. La forme avant le fond, comme dans toute relation humaine, la forme si facile à juger, si compréhensible...

« Encore un exemple qui montre combien cette société est contraignante. De vue, vous devez connaître peut-être une centaine de personnes donc vous pourriez donner le prénom ainsi que quelques caractéristiques principales. Combien d'entre eux connaissez-vous vraiment ? Et quand je dis connaître, je ne parle pas de leur famille, la façon dont est rangé leur appartement... Non, je parle de leur personnalité. Allez, combien ? 10 ? 5 ? Guère plus, à mon avis. Nous sommes dans une société bâtie sur l'apparence. Pourquoi notre président est-il en place ? Tout simplement parce qu'il sait parler. Si l'adversaire fait une erreur dans un mot, il est directement recalé, on ne l'écoute même plus. Si je m'étais présenté devant vous et que j'avais bégayé dès ma première phrase, vous ne m'auriez même pas écouté. Et le mieux, c'est que la télévision ne nous montrera que cet adversaire et son erreur de langage. Hop, il est discrédité, les sondages le prévoient à peine à 20% et au revoir, à dans 5 ans ! Des médias avec des opinions clairement définies, à peine neutres dans les informations qu'ils transmettent, hop, on vous dit discrètement notre orientation politique, vous vous rendez même pas compte mais on vous convertit au fur et à mesure... Et on vous montre ce qu'on veut. »

Je fais une légère pause, le temps de descendre de ma chaise pour me rendre jusqu'au bar et prendre un verre de jus d'orange posé là. Je retourne vers ma chaise et remonte, levant le verre devant moi.

« Regardez ce verre. Nous, on est le jus d'orange. Pressé, oppressé même. Dans un verre qui nous donne notre forme, un moule qui nous emprisonne. Mais vous savez comme le verre est fragile... »

Je lève haut mon verre au-dessus de ma tête. Mon public me regarde, bouche bée, en silence. J'attends quelques secondes, qui me semblent durer une éternité. CRAC ! Le verre est brisé sur le sol, des morceaux se sont envolés sous les tables et le liquide s'écoule librement, en une flaque irrégulière, coulant maintenant lentement vers les pieds des spectateurs. Je reprends la parole d'une voix basse, sachant que tous m'entendront.

« Si vous voulez être heureux, il vous faut briser le moule. »

Ma voix enfle petit à petit alors que je poursuis.

« Si vous voulez être heureux, vous devez être libres, vous affranchir de tous ces liens, de ces fers qui vous entourent. De toutes vos considérations matérielles, du regard d'inconnus qui croient pouvoir vous juger, de celui de vos connaissances qui eux vous jugent encore plus durement, de celui de vos amis, que vous aimez et qui vous le rendent mais que vous n'osez froisser de peur de les perdre, du regard de vos parents que vous respectez. Vous devez vous affranchir du monde ! Ne comptez pour personne, soyez solitaires, non, égoïstes ! Pensez à vous et non pas à ce que l'on pourrait penser de vous. Vous voulez quelque chose ? Prenez-le !! »

Cette injonction est aussitôt suivie par une vague d'applaudissements et par des cris de joie. Mais peu à peu, la liesse diminue devant mon visage triste et considère les larmes qui coulent sur mon visage. Le silence revient. Je prends une profonde respiration.

« Nous devons nous unir pour le bonheur et détruire cette société qui nous enferme, qui nous réduit en esclavage. Les gens qui nous gouvernent ne tiennent qu'à leur petite fortune, à leurs privilèges. Ils nous considèrent de haut mais ils ne sont là que pour sucer les queues de plus riches qu'eux. Ils prennent des mesures contre notre avis, contre l'avis du peuple qui les élisent, tout simplement parce qu'ils ont peur de perdre leur place. Ils jugent que nous n'avons aucune influence. Mais si, nous avons un pouvoir. Un seul et unique pouvoir. Chacun d'entre nous est une personne. Chacun d'entre nous a une voix pouvant rugir, hurler à l'injustice. Chacun d'entre nous a un bras qui peut se lever contre la traque gouvernementale. Le harcèlement de nos biens, de nos sentiments, jusqu'à nous vider de toute substance, de toute énergie, si bien que nous ne pourrons plus à terme que pleurer sur ce que nous avons perdu. Est-ce là ce que vous voulez ? »

Je me laisse tomber sur ma chaise, les larmes aux yeux. Je regarde chacun d'entre eux et je vois de l'hésitation dans leurs yeux. Entre les larmes de colère et de tristesse envers leur soumission. Personne n'ose réagir, dire ce qu'il pense. Personne ne fera le premier pas. Je le vois, aucun d'entre eux ne souhaite bouger, ils veulent pleurer sur ce qu'ils ont perdu. Aucun d'entre eux ne veut se battre. Je me relève lentement. Ils relèvent tous la tête vers moi et la colère prend le dessus. Je ricane doucement.

« Vous êtes pathétiques. Il y a cinq minutes à peine, vous hurliez. Comme des chiens qui voulaient se battre pour préserver une parcelle de leur vie, pour conquérir le bonheur. Mais vous oubliez une chose : vous avez le pouvoir de choisir. Chacun d'entre vous a ce pouvoir, celui de désirer un objectif et de l'atteindre. CAR VOS DÉSIRS SONT DÉSORDRES ! Un grain de sable peut bloquer un engrenage. Imaginez les dégâts que peuvent faire des milliers de grains de sables, tous plus insignifiants les uns que les autres. Imaginez le pouvoir que vous pourriez obtenir ! Celui de briser ce verre qui vous enferme, de briser cette société qui vous étouffe ! Et d'en recréer une nouvelle, parfaite, où chaque être humain aurait droit au bonheur, avec liberté et égalité. Pas celles factices qu'essaient de nous vendre notre gouvernement non, une véritable liberté, une véritable égalité, une véritable démocratie. Car c'est ce que vous voulez. Aux armes, citoyens ! Brisez vos chaînes et marchez la tête haute. La victoire est au bout de la route. »

Ainsi commença la Seconde Révolution.

Mais tout ceci n'est qu'une histoire, vous le savez aussi bien que moi. Personne aujourd'hui n'oserait se lever et brandir le poing devant l'injustice. Personne n'en a le courage. Il est plus simple d'observer le gouvernement et les médias nous mentir et se foutre ouvertement de notre gueule. Mais je comprends le peuple. Il est difficile de se lever quand il n'y a pas de chef véritable pour les fédérer et les guider. Je suis Lyam. Et aujourd'hui, je crois que je suis le seul à pleurer.

(© Forge-Rêves, 2010)

Publicité
Publicité
21 avril 2010

Phrases arrangées, à ranger

Blah ! Pour les éventuelles personnes qui passent encore ici, voilà un petit texte. Il est court, sans forme mais c'est fait exprès. C'est simplement un ensemble de phrases mises bout à bout, un peu dans le style d'A. Damasio. Il n'aura peut-être pas de sens pour vous mais il en a pour moi. Bonne lecture.

 

Forge le rêve, dévore l'illusion, contre le vent dans d'implacables voltes, lutte perpétuelle avec la démence comme unique compagne...

Car tel est le chemin, semé d'innombrables pièges, sublimes épreuves. Eternel combat durant lequel l'ultime visée est de comprendre l'autre, d'esquiver ses assauts, de se défendre contre les coups, sans une plainte, sans mot dire. Le verbe est ton fleuret, le corps ton bouclier, tout ce que tu possèderas jamais. Les mots et la chair pour lutter, tête haute, contre la foudre de tes semblables, pâles copies mais déviances certaines. Caracole, virevolte, vers l'oubli et le vif, vers la folie et le ressenti, contente-toi de ce que tu es, non pas pour les autres mais bien pour toi-même. Car ce que tu es importe, les autres ne sont que l'image, l'icône d'une ère révolue, disparue, où le monde était harmonie, sourde symphonie, cacophonie de sons et de fragrances dissonants, vivifiants. Peu importe. L'âme du poète voit arcaniste démodé d'un peuple pragmatique où seul le matériel compte, un sol sous nos pieds, un ciel au-dessus, tout compte pour rien sous le regard des aigles, traitant l'humanité de délire. Le poseur de mots est exclu, sa lutte est le silence, l'immobilisme...

Regarde l'étoile briller, guider ta déraison vers le plongeon ou la rémission, tendre vers l'être et l'exister, la rendre tangible. Couche les mots sur le papier, écoute-les, donne leur l'existence car là est ta mission, les dompter pour leur rendre leur sens. Ouvre les yeux et les cœurs, présente la vérité, celle qui doit être et qui parfois est, déchirant le voile de l'ignorance.

(© Forge-Rêves, 2010)

14 mars 2010

Luxure moderne

Blah ! Bon, un petit texte que j'ai écrit y a un mois... Personnellement je ne le trouve pas terrible mais je le partage quand même. Bonne lecture !

 

Si l'on devait dédier un temple à la consommation et à la luxure, nous n'aurions pas vraiment à y réfléchir longtemps. Quel serait le nom de ce genre de divinité ? Nous pourrions chercher longtemps une appellation découlant de langues anciennes, vieilles comme l'humanité elle-même mais ce serait là un exercice des plus fastidieux et soporifiques. Mais puisque ce n'est pas là le but de ce modeste essai, nous utiliserons le nom Andyka, pour un confort certain.

Dans cette société qui est la notre, au XXIe siècle, il existe des temples qui lui sont dédiés. Et comme pour tout lieu de culte, il est essentiel qu'il se situe dans chaque ville qui ait un tant soit peu d'importance. Il y a fort à parier que vous en avez déjà visité au moins un dans votre vie, d'ailleurs. Vous ne voyez pas de quoi je veux parler ? Je vois. Laissez-moi vous en faire une description sommaire.

On y entre par de grandes portes, en verre ou non, qui s'ouvrent d'elles-mêmes lorsqu'on se place devant. Cela n'est pas impressionnant au regard de notre technologie qui est si développée, me direz-vous. Mais une fois franchies... on tombe sur un lieu d'une beauté non pas infinie – le mot serait trop fort – mais... bien humaine. Tout y est blanc. Carrelage ou simple dallage plastifié, de longues avenues immaculées s'étalent devant nous. Puis vous reniflez et vous sentez une étrange odeur envahir vos narines. Celle du pain chaud ! Un sentiment agréable vous envahit mais vous venez seulement d'entrer, il n'est pas encore temps de prier. Et que dire de l'éclairage ! Tout est mis en valeur grâce à de grands néons qui surplombent le tout, jetant une lumière crue sur le lieu de culte de notre cher Andyka. Le décor est planté, commence alors un voyage exotique où tous nos rêves sont à portée de main.

Chaque rue porte un nom, affiché par des plaques en plastique, calligraphiées de façon plus que nette. Originalité – s'il y en a une -, chaque nom correspond à ce que l'on peut trouver dans ladite rue : Condiments, Para-pharmacie, Alcools, etc... Toutes ces rues ont une longueur identique, de même pour la largeur. Seule l'avenue centrale est légèrement plus importante que les autres. C'est également la seule qui ne possède pas de nom. D'un point de vue géographique, cette disposition des rues serait dite « soviétique ». Une seule grande avenue d'où partent de façon régulière des rues plus étroites. Mais peu importent les noms avons-nous dit, entrons maintenant dans l'une de ces dernières.

En fait, ce temple est également un hommage à la géométrie. Chaque élément est présent à sa juste place, au bord de l'étal qui lui est assigné. C'est comme si chacun des éléments présent dans les grandes étagères était comme une pierre taillée à la perfection pour le mur auquel il est assigné. Ces étagères sont tellement bien rangées qu'on éprouve du plaisir à en ôter quelque chose. Le plaisir de détruire ce qu'une personne a mis quelques secondes à créer. Et détruire plus vite qu'il n'a été bâti. Une sorte de jouissance naît de ce geste et l'adepte en ressort assurément grandi. On éprouve également une avidité dévorante : tout ce que l'on souhaite, on peut se le procurer ici. Alors on prend le fruit de notre désir et on le dépose dans une sorte de cage pourvue de roues, que l'on pousse devant soi. Parfois même, une certaine fièvre s'empare de nous, une frénésie qui nous pousse à prendre des choses dont nous n'avons nul besoin. Et pour renforcer tout cela, les prêtres aiment à changer la disposition des rues et produits pour désorienter le voyageur et le forcer ainsi à visiter à nouveau tous les étals pour trouver ce qu'il cherche. Tout cela exacerbe la folie de ceux qui s'aventurent en ce lieu saint et les force à toujours y revenir. Car tel est le pouvoir de la luxure.

Bien entendu, rien de tout cela n'est gratuit, bien au contraire. Il faut donc passer par une minuscule ruelle où une charmante hôtesse attend votre bon vouloir. La cage que vous avez précédemment remplie doit être vidée de vos futurs biens pour garnir un tapis dont le noir jure avec le reste du temple. Chacun de vos produits est contrôlé par l'hôtesse, un étrange son retentissant lorsqu'elle le valide. Une fois tous vos biens approuvés par la prêtresse, il ne vous reste plus qu'à quitter ce temple pour regagner vos pénates, sans un seul regard en arrière. Car ce culte, tous le pratiquent sans en connaître la véritable nature, restant dans une ignorance crâne face à la débauche qu'il entraîne.

Vous faites également partie de ce culte. Vous avez très certainement dans vos poches ces bouts de métal ronds ou ces morceaux de papier colorés, voire même une carte avec un crédit plus ou moins limité... C'est ainsi que l'on reconnaît les adorateurs d'Andyka. Et plus vous avez de ces signes distinctifs, plus on vous regarde et respecte. Toute notre société s'articule autour de ce temple, selon si vous pouvez acheter plus ou moins de choses, peu importe si elles vous sont utiles ou non. La luxure et l'avarice sont les deux moteurs de notre société. Cependant, si certains ont tout, d'autres n'ont rien. Lorsque vous n'avez aucun rond de métal, vous êtes sale et repoussant, tellement ignoble que personne ne vous regarde plus. Les gens vous méprisent alors que vous avez certainement plus de courage que ceux qui dirigent une entreprise ou donnent des ordres à des ouvriers terrorisés à l'idée de vous ressembler un jour. Votre apparence vous rend repoussant alors que ce n'est pas cela seulement qui fait un homme...

Telle est la loi d'Andyka : visitez son temple et vous serez aimé. Si vous ne pouvez y entrer... vous serez maudits, repoussés hors de la société. Et vous pourrez crever que personne ne se souciera de vous.

(© Forge-Rêves, 2010)

22 janvier 2010

Errance en sastrugi

Blah ! Voici un texte très différent du précédent, nettement plus travaillé. J'espère que vous apprécierez. Bonne lecture !

 

J'observe le paysage monotone autour de moi. D'une blancheur immaculée, il s'étend aussi loin que mon regard peut porter. Je ne prends pas la peine de déchausser mes skis, je m'enfoncerais dans la neige. Soupirant, je repousse ma capuche sur mes épaules et retire mes épaisses lunettes. Aussitôt, le froid assaille mes yeux et fait monter des larmes. Je secoue la tête pour les chasser : elles gèleraient aussitôt. Pris d'une soudaine folie, je retire également la cagoule qui recouvre le reste de mon visage, libérant mes cheveux de jais. Je sens le froid s'insinuer en moi, transperçant mes poumons comme si une armée de moustiques avaient décidé de me piquer de conserve. Une sensation à la fois agréable et terrifiante : elle me rappelle que je vis encore mais certainement pour peu de temps. Je prends plusieurs bouffées d'air glacé et passe une main gantée dans mon épaisse crinière, l'ébouriffant. Je m'accroupis, m'appuyant sur un de mes bâtons pour éviter de chuter et sors de mon sac une tranche de viande séchée. Je la mâche lentement ; elle est dure et peu appétissante.

Après cette courte pause, j'enfile à nouveau mes protections contre le froid, me relève et observe les traces sur le sol. Plusieurs lignes parallèles s'éloignent sur les dunes gelées. Ce sont ces traces que je suis. Pour le moment, je m'estime chanceux de pouvoir les distinguer encore, aussi je dois-je pas perdre mon temps. Je m'élance à travers les dunes de neige d'environ un mètre de hauteur. On appelle ça des sastrugi, qui se forment grâce aux vents qui déplacent la neige en mortels récifs.Je jette un coup d'œil sur le ciel gris ; je ne vois pas le soleil et ne peux donc pas m'orienter. Ma seule chance sont ces infimes traits dans la neige. La course doit reprendre. Pendant plusieurs heures, je glisse péniblement sur les barkhanes glacées, m'efforçant de ne pas chuter et perdre ainsi plusieurs minutes à me dégager de l'étreinte de la neige. Le paysage ne change qu'à peine, les vagues se succédant dans mon champ de vision autour des fameuses traces que je poursuis inlassablement. Mais le temps qui jusqu'alors s'était montré clément avec moi décide de se déchaîner.

Tout d'abord le vent se lève. La neige vole autour de moi, formant des tourbillons de poudreuse s'insinuant de façon perverse dans mes vêtements et fondant aussitôt contre ma peau. Je m'arrête et tente de colmater les brèches pour éviter de finir comme un glaçon. J'essuie mes lunettes contre la fourrure qui me sert de manteau et continue mon chemin, inlassablement. Le vent souffle dans toutes les directions et la neige qu'il charrie efface les traces à mes pieds. J'ai perdu tous mes repères. La tornade enneigée s'intensifie encore autour de moi et je ne vois plus qu'à deux mètres devant moi. Il est trop dangereux de continuer, je briserais mes skis. Je déchausse et sors deux couvertures de fourrure de mon bagage. J'en pose une première sur mes skis et m'emmitoufle dans la seconde. Autour de moi, je sens que la tempête fait rage, le vent hurle à mes oreilles en passant entre les vagues glacées. Une de celles-ci se brise et me recouvre. Mes mains se referment sur mes skis et je me relève, perçant le toit enneigé au-dessus de moi. D'aucuns diraient que tout est chaos mais en vérité... je ne parviens pas à voir ce qu'il se passait autour de moi. Je cherche alors la meilleure solution. Puis-je encore espérer trouver un chemin à travers ce blanc désert ? J'en doute fort. Les flocons glissent entre mes vêtements mais je ne peux rester allongé : la neige finirait par me piéger en un éternel carcan. Alors je marche. Les skis sont inutiles : je ne vois rien et je pourrais les briser contre une crête. J'avance difficilement, la neige brouillant ma vision. Je ne distingue même plus mes pieds, je me contente d'errer dans ce maelström. Et plus mes jambes me portent, plus je perds espoir. L'espoir... quelle chose éphémère. Pendant un moment, nous croyons être heureux puis les ennuis nous tombent dessus. Ils nous tournent autour, comme ces maudits flocons de neige jusqu'à nous envahir complètement sans avoir la possibilité d'avancer. Mais il faut lutter, comme je le fais maintenant. Relever la tête et continuer son chemin.

Perdu dans mes pensées, je file droit, essayant de garder le vent du même côté pour ne pas dévier de ma trajectoire. Plusieurs heures passent ainsi et les bourrasques ne faiblissent pas, me faisant chuter et m'empêchant parfois même de me relever. Mais j'y parviens toujours, armé de ma simple volonté. C'est elle qui garde mon corps debout et qui force mes pieds à avancer, l'un après l'autre. Cependant... toute arme s'émousse un jour. Mon corps se met à protester et mon cerveau est également au bord de la révolte. Je m'accroupis à nouveau pour manger une tranche de viande séchée et boire une gorgée d'un alcool fort au goût de miel dont la chaleur irradie dans mon corps tout entier. La fatigue s'éloigne de mon corps mais la mélancolie étreint mon âme. Mes certitudes tombent peu à peu. Jamais je n'arriverai à sortir d'ici vivant. J'en suis à présent convaincu. Mais ma fierté m'empêche de baisser les bras et des phrases idiotes me viennent à l'esprit. « Plutôt mourir à debout qu'à genoux. », « Il faut lutter jusqu'au dernier souffle. ». Je ne me rends compte que ce ne sont que des conneries. Il n'y a ni honneur ni fierté dans la mort. La mort, c'est que de la charogne.

Lorsque je comprends cela, rien n'a plus d'importance. J'éclate de rire dans ma cagoule, jette mes skis sur le sol et je m'allonge entre deux crêtes de glace. Le froid me prend peu à peu dans ses bras, anesthésie mes muscles et coupe la sensibilité de mes extrémités. Peu m'importe de mourir maintenant ou plus tard.

Vivre n'a plus aucun intérêt si je ne peux même plus voir où je vais.

Vivre n'a plus aucun intérêt si rien ne peut me détourner de ma tristesse.

Vivre n'a plus aucun intérêt si je ne sais plus espérer.

Vivre n'a plus aucun intérêt si je suis sûr de mourir.

Je m'endors doucement dans les bras des sastrugi.

Je ne sais pas combien de temps j'ai dormi. J'ouvre les yeux et ne distingue que du blanc. Je sens mes lunettes autour de mes yeux, le contact de la cagoule sur mon visage. Je ne suis donc pas mort ? Je bouge un bras, légèrement. Il manifeste son mécontentement en restant raide mais je le sens. Je bouge la tête et la neige crisse autour de moi. Je suis vivant. Je perce la fine couche de glace autour de moi et me relève péniblement. La lumière explose devant mes yeux. Je place ma main au-dessus de mes lunettes et observe autour de moi mais les sastrugi sont toujours autour de moi. La joie se peint sur mon visage, au moins puis-je voir le soleil. Je ramasse mon sac et me prépare à reprendre la route. A pied ; j'ai perdu mes skis. C'est un peu comme perdre une partie de soi après une grande bataille de la vie. Mais au final, on se relève toujours.

(© Forge-Rêves, 2010)

10 janvier 2010

Gardiens du Trône Obsidiane

Blah ! Ca fait un moment que j'ai rien posté alors voilà ce sur quoi je travaille en ce moment... Le but du jeu est de décrire une cité d'une manière interactive, sans qu'il y ait de longues lignes de description, etc... Enfin bref j'en dis pas plus, à part que d'autres textes viendront bientôt (enfin j'espère). Bonne lecture !

 

Mesdames et messieurs, suivez-moi, n’ayez pas peur. Bientôt au détour de l’un de ces sombres rochers, vous la verrez apparaître. Encore un petit effort, aidez les plus vieux et les plus fatigués à gravir les derniers mètres. Attendez mademoiselle, votre robe est coincée sous cette pierre ! Ne bougez plus, je viens à votre secours. Voilà, vous pouvez reprendre l’ascension. Un dernier effort et relevez la tête pour voir ce qui fut construit à même la roche des Dents de Fer. La fabuleuse citée de Khazed-Teren et ses mines légendaires. Apercevez-vous cette arène où les plus fiers guerriers Nains s'affrontent ? Les meilleurs Sabreurs sont dans cette cité, mes amis. Et toutes ces petites maisons où les bougies s’éteignent tandis et les chemins de ronde s’allument de milles flambeaux. La relève lumineuse ! Mais je vous en prie instamment, ne faites pas attention à tous ces soldats postés sur les hauteurs qui surplombent notre route, ils n’ont pas pour habitude d’agresser les nobles étrangers. Le sentier se fait plus net et nous foulons à présent une route pavée. Vous voyez le grand porche un peu plus loin ? Lorsque nous y serons, restez groupés derrière moi, on y fait des contrôles, pour les personnes et les marchandises.

Le petit homme que vous voyez là c’est Grinius, capitaine de la première garnison. Bien sûr, il me reconnaît. Attendez sur le bord du chemin, je vais lui expliquer que vous m’accompagnez et il vous laissera passer. Voilà qui est fait ! N’est-ce pas un nain charmant ?

Nous ne continuerons pas à pied, car deux voitures nous attendent sur le bord de la route : le maître à déjà tout prévu. Mesdames, mesdemoiselles, montez dans celle-ci et messieurs dans l’autre. En route, cochers, nos invités sont fatigués ! Messieurs, je vous préviens, ne vous inquiétez pas si vous perdez un instant de vue l’autre attelage, il emprunte un itinéraire différent, qui sied mieux à la naïveté dont certaines de ses occupantes jouissent encore.

Je vous présente donc, le quartier des plaisirs qui, je vous rassure, n’abrite pas seulement des filles de petite taille. Je ne sais pas pour vous, mais j’aperçois là de mignonnes jeunes femmes. Elles sont toutes plus talentueuses les unes que les autres. Malheureusement, nous n'avons pas le temps de nous arrêter, on nous attend pour souper.

Quelques rues plus loin, vous pourrez admirer l’architecture exceptionnelle de l’arène, où se déroulent combats, spectacles, et jeux en tous genres. Nous la voyions déjà tout à l'heure mais elle est encore plus magnifique de près. Les légendes disent qu'elle a été sortie de la terre par les premiers Nains qui ont peuplé cette montagne. Observez ces tonnes de roche dont les stalagmites s'élancent vers le ciel ! Vu de l'extérieur, elle a l'air imprenable mais l'intérieur est superbement agencé avec de très nombreux gradins qui permettent aux visiteurs d'admirer les combats.

Juste à côté, nous trouvons la place des ovations. C'est ici que les héros de l'arène viennent se faire aduler par leur public, la plupart du temps encore couverts de sang et de sueur. Il est arrivé une fois qu'un homme ayant perdu sa main souhaite tout de même se faire applaudir par la foule avant même de se faire soigner ! C'est dire la valeur de cette cérémonie. Mais roulons, roulons…

Nous n'avons guère le temps de passer par la Place d'Or, le lieu où tous les marchands se rencontrent pour commercer. Ici, le marché se déroule tous les jours mais chaque jour correspond à une marchandise différente. La nourriture, les outils et le bétail, les bijoux et les vêtements, les armes et armures, les travailleurs, ainsi que d'autres choses encore.

Mais nous sommes bientôt à destination. En dessous du palais se trouvent les demeures des vingt protecteurs du trône. On les appelle les Gardiens du Trône Obsidiane. Ce sont eux qui protègent la cité. En tous cas, la demeure de notre seigneur Amero est l’une des premières de ces demeures. Vu l'heure tardive, vous comprenez bien que nous n'irons pas au palais ce soir. Cependant demain, je vous l’assure, nous y ferons un tour.

Descendez messieurs, vos dames sont déjà arrivées et on n’attend plus que nous pour manger. Entrez, retirez donc vos gros manteaux et suivez Linius, notre serviteur. Très bien, maintenant que tout le monde est assis, dégustez et remplissez-vous bien la pense. Le maître s'excuse de ne pas être à vos côtés, il a du s’absenter pour la soirée. Une importante réunion au palais qui requérait sa présence. Eh bien maintenant je vais vous laisser, je dois vous ennuyer avec mon bavardage incessant. Bon repas et bonne nuit.



***

C'est après une bonne nuit de sommeil que nous retrouvons nos voyageurs. De jour, la ville était très différente de ce qu'ils avaient pu voir alors que l'obscurité l'étreignait encore. C'est Ceylak, le serviteur qui les avaient accueillis la veille, qui leur fit visiter la ville. Cette fois-ci, tous les voyageurs avaient été réunis car ils devaient connaître ensemble cette cité qui serait peut-être dorénavant la leur.

- Vous savez, la cité s'étend à l'intérieur de toute la montagne, en réalité. Même si la route que vous avez empruntée hier soir est la plus rude, c'est également celle qu'emprunte toute armée ennemie. Tout simplement pour éviter que l'ennemi pénètre directement dans la cité. Elle est également étroite, ce qui permet d'étirer les contingents et de les attaquer plus facilement. Une armée divisée est une armée vaincue – vous êtes bien placé pour le savoir, si vous me permettez de raviver de douloureux souvenirs.

Les hommes détournèrent la tête et observèrent les bâtiments. Ils se trouvaient dans la Cuve, une sorte de clairière rocheuse à ciel ouvert où se trouvaient les principaux lieux de Khazed-Teren. Les maisons y étaient construites selon une architecture étrange. Les murs n'étaient pas lisses, au contraire : une multitude de petites piques de roche les recouvraient, donnant une impression sauvage aux rues. Ces dernières étaient plutôt larges, permettant à trois chariots de passer de front. Cependant, nombre d'échoppes dévoraient peu à peu l'espace pavé.

- Une milice citoyenne est chargée de surveiller ces étals. Dès lors qu'ils prennent trop de place, leurs propriétaires doivent payer une amande chaque jour jusqu'à ce qu'ils se conforment aux lois de la ville.

Ils virent passer des hommes aux uniformes écarlates – sûrement cette milice que Ceylak venait d'évoquer. Les voyageurs continuèrent leur chemin jusqu'à arriver près d'une grande place où les rues étaient certes plus petites mais également très animées. De nombreux nains se trouvaient près d'étals multicolores, devisant gaiement avec un interlocuteur invisible. Ils étaient pour la plupart vêtus d'armures scintillantes ou de vêtements aux couleurs vives et n'exagéraient en rien leur joie. Et, contrairement à ce qu'auraient pu penser les voyageurs, ils n'étaient pas plus gros que la plupart des autres espèces peuplant ce monde. Non, ils étaient simplement plus petits que les humains mais n'étaient pas forcément trapus. Ceylak guida ses protégés dans le dédale inextricable de la place, tout en parlant d'une voix forte.

- Aujourd'hui, c'est le jour des Épices et des Produits Exotiques. La Place d'Or est divisée en plusieurs quartiers où chaque type de marchandise est vendue. Aujourd'hui, ces quartiers sont organisés en fonction des peuples et de leurs habitudes alimentaires, tout simplement pour que chacun puisse aller droit au but lorsqu'il vient effectuer ses achats. Cette règle a été édictée il y a peu : lorsque tout le monde pouvait s'installer comme il le souhaitait, la place était rapidement engorgée de clients qui se perdaient ou qui bloquaient les rues. Ainsi, chacun peut circuler comme il le désire.

Après deux heures de marche à humer les senteurs des épices et des plats elfiques comme gobelins, les voyageurs sortirent enfin de la Place. Ils aperçurent alors nombre de chemins différents qui partaient vers les quatre coins de la cité. Ceylak s'engagea sur l'un d'entre eux sans aucune hésitation et ils arrivèrent bientôt au bord de la Cuve. Devant eux s'ouvrait un tunnel pavé où auraient pu s'engager deux chariots. Ils pénétrèrent dans la caverne éclairée par une multitude de lanternes, si bien qu'on aurait cru que les rayons du soleil atteignaient également l'intérieur de la montagne. De nombreuses portes et fenêtres donnaient directement sur la route : les demeures étaient construites à même la roche.

- La ville de Khazed-Teren grouille de tunnels de ce genre. Les nains vivent directement au sein de la montagne. Il paraît même que certaines cavernes sont tellement rapprochées que plusieurs familles naines vivent dans la même demeure à force de les agrandir en creusant toujours plus avant les entrailles de la roche. C'est ici que la plupart des habitants de Khazed-Teren vivent. Si vous êtes acceptés dans la cité, il est fort probable que vous ayez une maison dans ce genre de galeries.

Les voyageurs hochèrent la tête avant de sortir du tunnel. Ceylak continua sa petite visite tout en énumérant les différents quartiers de la ville.

- Il y a d'abord les Lavoirs. C'est une grande salle souterraine où s'étend un lac qui permet de laver les vêtements et la puanteur de Khazed-Teren. Des mages humains nous aident à clarifier cette eau toutes les heures en échange d'un salaire. Ensuite il y a les Calfats, où on étudie les arts maritimes, les Boucauts, où l'on pratique la pesée des denrées. C'est un peu le quartier économique de la ville avec ses banques et ses prêteurs sur gage. La venelle des Messagers est l'endroit où se trouve une multitude de commerces qui rédigent nos lettres et les envoient aux quatre coins du monde. Les tarifs fluctuent en fonction de la longueur du courrier, de la qualité de l'encre et du parchemin, des services supplémentaires comme le nombre de chevaux, etc... Le quartier des Cuirs, malgré son nom, ne s'occupe pas que des tanneries mais également de tout ce qui est tissus et vêtements. C'est principalement un quartier artisanal. Dans les Armures se trouvent toutes les forges et autres ateliers de travail du fer et de l'acier. Khazed-Teren est une cité marchande mais elle a également besoin d'outils et c'est ce quartier qui nous les fournit. Les Camées, c'est le quartier des bijoutiers et des joailliers. Si vous souhaitez acquérir une somptueuse breloque pour votre épouse, c'est ici qu'il faut la commander. Ensuite, il y a...

La cité semblait s'étendre toujours plus avant. Il semblait d'ailleurs aux voyageurs que la cité ne pouvait pas contenir toutes ces merveilles qu'évoquait Ceylak mais ils ne pouvaient pas connaître toute l'étendue de son réseau de galeries. Ceylak s'interrompit soudain dans son discours alors qu'ils s'engageaient sur une route différente. Elle était plus large et, chose étonnante, ses pavés avaient une étrange teinte bleutée. Devant eux se tenait une énorme muraille aux parois tellement lisses qu'on aurait pu la croire faite d'un seul et unique tenant. Avant même que les voyageurs ne posent la question, Ceylak reprit la parole.

- Nous sommes sur l'Artère du Trône. C'est la plus grande route de la cité, celle qui mène de la Place d'Or au Palais. Personne ne sait d'où vient la couleur bleutée de cette route... Certains soupçonnent une œuvre magique, d'autres pensent à un matériau différent des pavés normaux. En tous cas, tout le monde est unanime quant à la beauté de l'Artère. En face de vous se trouve le mur de la Défaite. Son nom vient du fait qu'il n'a jamais été pris : tous ceux qui l'ont affronté ont affronté la Défaite. L'on raconte que derrière ce mur se trouve un espace capable d'abriter tous les habitants de la ville. Il contiendrait des champs pour nourrir les citoyens mais également une réplique miniature de la cité où chacun pourrait œuvrer pour la survie de la ville. Certaines personnes sont chargées d'entretenir cette seconde cité que l'on appelle Khasel-Teren – la Cité Double – mais ils sont d'une discrétion exemplaire.

Les réfugiés ne purent qu'admirer la somptueuse avenue ainsi que le mur de la Défaite. Au fur et à mesure qu'ils s'approchaient de ce dernier, l'Artère s'étrécissait jusqu'à reprendre une largeur normale. Ceylak expliqua que c'était pour forcer les armées ennemies à se tasser. Les soldats étaient tellement collés qu'un trébuchet pouvait éliminer une centaine de soldats en un tir unique.

L'Artère tournait vers la droite, si bien que les voyageurs longèrent le mur de la Défaite jusqu'à arriver à une immense porte double, plusieurs centaines de mètres plus loin. Dix gardes en surveillaient l'entrée. Ils reconnurent Ceylak et la porte s'ouvrit lentement. Un énorme bâtiment de pierre noire fut dévoilé. Il était immense, pourvu d'une même double porte que la muraille. D'imposants stalagmites rocheux s'éloignaient du bâtiment, formant tout un ensemble de tours où, les voyageurs en furent intimement persuadés, se trouvaient plusieurs salles servant à de quelconques besognes.

- Mes amis, bienvenue au Palais, à l'Ecole des Princes, au Promontoire des Cieux, au Siège de Khazed-Teren, au Tribunal du Peuple, au Trône Obsidiane. Ceci est le centre névralgique de la cité où sont donnés des cours pour les mages, des formations pour le peuple et les nouveaux venus, des abris pour les ambassadeurs comme les plus démunis. C'est le centre de toutes les décisions de la ville.

Le Palais se dressait avec majesté au-dessus des réfugiés, les toisait comme s'il recelait tout le savoir du monde. Ils avancèrent d'eux-même vers les grandes portes qui s'ouvrirent à leur approche. Ils pénétrèrent ainsi dans la Première Salle. C'était une gigantesque salle dont les murs étaient couverts de tapisseries aux couleurs noires, grises et rouges, les couleurs de la ville. Droit devant se trouvait le blason de la ville, un trône noir divisé en deux par une ligne rouge, sur un fond argenté. Deux escaliers encadraient les armoiries de Khazed-Teren jusqu'à une nouvelle porte. Les exilés grimpèrent les sombres escaliers jusqu'à cette elle. Celle-ci donnait sur une immense salle. Les murs y étaient d'un blanc éclatant, qui tranchait sur l'atmosphère sombre de la Première Salle. Lorsque leurs yeux furent habitués à la nouvelle luminosité, ils purent s'apercevoir qu'une multitude d'escaliers partaient dans toutes les directions. Ils se trouvaient dans l'Antichambre de la Décision.

Ceylak reprit alors son rôle de guide et les mena vers un nouvel accès, sur la droite. Il frappa respectueusement à la porte et poussa le lourd battant. La vingtaine de voyageurs entra et fut frappé de stupeur. Vingt guerriers étaient tournés vers eux, vêtus d'armures noires et rouges, armes tirées. La pièce baignait dans la lumière du soleil, dont les rayons convergeaient droit sur un escalier doré, menant sur un trône. Un nain était assis sur ce dernier, dans une posture nonchalante.

- Voyons, mes amis, ne soyez pas effrayés. Mes guerriers aiment la mise en scène et prennent un malin plaisir à effrayer les nouveaux arrivants. Installez-vous, je vous en prie !

Les soldats rangèrent leurs armes et leurs traits s'adoucirent. Ils auraient presque eu un air bienveillant s'ils n'avaient pas été armés jusqu'aux dents. Les guerriers étaient positionnés sur une sorte de roue dorée parcourue d'une multitude de hayons qui se croisaient de façon désordonnée. Les voyageurs remarquèrent que les armures des soldats ressemblaient à de la pierre, comme si elle avait poussé directement sur leur peau. Cependant, ils furent arrachés à leur admiration par un toussotement de Ceylak et ils s'avancèrent droit vers le centre du cercle. L'homme assis sur le trône reprit la parole. Les exilés remarquèrent que la pièce sentait la lavande.

- Très bien. Permettez-moi de me présenter : je suis Dagnir, le Tourmenteur, Roi de Khazed-Teren. Les dix-neuf personnes autour de vous et moi-même formons l'élite de la ville, la force politique de la cité. Et nous vous souhaitons la bienvenue.

Aucun des autres guerriers ne dit mot. Sur un ordre inaudible, ils tendirent soudain leur main droite en avant. Elles étaient toutes fermées en un poing puissant. Le Roi Dagnir reprit la parole.

- Eh bien messieurs, vous êtes unanimes. Voyageurs, exilés des Epées Etincelantes, les Gardiens du Trône Obsidiane vous accordent le droit de résidence dans la cité de Khazed-Teren.

(© Forge-Rêves + Amero pour la première partie, 2009)

Publicité
Publicité
23 septembre 2009

Et si Dieu n'était qu'un mauvais artisan ?

Un article un peu en vrac pour cette nuit. Tout d'abord, je voulais vous annoncer en avant-première l'ouverture du blog de mon grand frère, mon frère de coeur, j'ai nommé M., alias Lord Myrddin. Vous y trouverez des extraits de ses bouquins ainsi que de nombreux textes qui seront ajoutés selon son humeur. Je l'encourage fortement à y mettre des articles sinon il va prendre cher. Le lien vers son blog se trouve juste à droite, sous l'image et la ligne pour me contacter.

Et j'enchaîne sur une petite citation, une phrase éphémère qui m'a été rapportée par A. Merci à elle.

"N'y a-t-il pas quelque chose d'un peu absurde dans le spectacle d'êtres humains qui tiennent devant eux un miroir et qui pensent que ce qu'ils y voient est tellement excellent que cela prouve qu'il doit y avoir une Intention Cosmique qui, depuis toujours, visait ce but... Si j'étais tout-puissant et si je disposais de millions d'années pour me livrer à des expériences, dont le résultat final serait l'Homme, je ne considérerais pas que j'aurais beaucoup de raisons de me vanter." (Bertrand Russell / 1872-1970 / Religion et Science / 1957)

A part ça, j'ai encore déçu une personne aujourd'hui et je la prie de m'excuser. J'ai le chic pour blesser les gens qui m'apprécient.

17 septembre 2009

Lettre pour un Renouveau

Aujourd'hui, j'ai eu une révélation. Je vous rassure, rien de mystique ou quoi que ce soit du genre. Non, j'ai simplement compris ce que je faisais ici. Ce que je voulais vraiment.

Aujourd'hui, j'ai reçu un message sur mon téléphone portable. On m'insultait de charognard, de sale type, de quelqu'un qui se croyait être mieux que tout le monde, si tant est que j'ai déjà eu cette prétention. Mais c'est vrai, je croyais être un type avec des bonnes manières, qui ne gênait personne. Je croyais être un type bien. Mais j'ai compris que l'on devient souvent le contraire de ce que l'on fait semblant d'être.

Je me suis toujours reposé sur mes lauriers. Il y a des choses que je sais faire mais... je ne m'améliore pas. Je stagne sur des eaux troubles. J'erre dans ce monde sans trouver ma véritable place. Oui, je pense que chacun a un rôle à jouer sur cette planète, dans cette société. Pour certains, ça sera être un mec cool, père de famille, salarié dans une entreprise. D'autres auront un rôle plus important, seront les patrons de cette entreprise ou peut-être de plusieurs, qui sait. Mais je ne parle pas ici d'un rôle financier ou physique. Je parle d'un rôle... moral. Une volonté. Certains n'ont pas eu cette chance et sont exclus de notre société. Ce sont les gens de l'ombre, ceux que personne ne remarque. Vous passez parfois à côté d'eux sans les voir ou vous ignorez leur main implorante, tendue en quête d'une aide ou même d'un simple mot. Vous ne voulez voir que des choses qui vous rassurent, garder ces œillères qui vous empêchent d'apprécier la vérité de ce monde dans sa globalité.

Je ne sais pas si j'ai trouvé ce rôle pour ma propre personne insignifiante. Je sais que je veux aider les gens, les écouter, recueillir leurs plaintes sourdes et guérir leurs maux. J'aimerais les soigner physiquement mais également mentalement. J'aimerais être un Forge-Rêves. Si je n'ai pas les capacités pour aider une personne à supporter les douleurs physiques, je veux essayer de lui ôter sa souffrance mentale et morale. J'aimerais continuer d'écrire des textes pour sortir leurs âmes de leurs corps blessés et qu'elles puissent trouver un repos provisoire, loin de l'affliction qui les torture. C'est mon but.

Pourquoi ? La réponse est simple. Je posais la question dans mon dernier article : quelle est la loi de ce monde ? Contrairement à ce que je disais, je vais essayer de vous livrer une partie de ma propre réponse. La loi de ce monde, c'est tout simplement vous. Chacun d'entre nous est une partie de la loi de ce monde. Chaque être vivant ou minéral en est une partie. La loi de ce monde, c'est ce que nous faisons envers lui. Nous avons tous des idées différentes concernant la façon de rendre hommage à notre Terre, c'est ce qui explique nos divergences d'opinion. Personnellement, je souhaite pouvoir un jour me regarder dans un miroir et dire tout haut « Je suis fier de moi. ». Pour cela, je dois accomplir mon but.

Mais pour pouvoir atteindre cet objectif, je dois changer. C'est pourquoi je souhaite bannir l'hypocrisie de mon esprit et de mon comportement. Je l'ai toujours haïe mais je l'ai utilisée parce qu'il est parfois plus simple de faire semblant que d'affronter les épreuves qui nous attendent. Je ne veux plus me laisser balloter par le cours de l'existence. Ce que les gens pensent de moi m'importe peu. Bien sûr, je ne suis pas infaillible ni intouchable, je souffrirai toujours lorsqu'on m'insultera et je rougirai toujours lorsqu'on me complimentera. Que les gens qui ne m'apprécient pas ne me parlent pas. Que ceux qui m'aiment pensent à moi. Cela me touchera toujours. Mais ce qui importe vraiment, c'est ce que je pense de moi. Et là, je pourrai me lever le matin et me dire « Je suis vivant. ».

Je tiens à m'excuser auprès de tous ceux que j'ai blessé. G. et C., vous ne lirez sans doute jamais ce texte mais j'espère que vous me pardonnerez pour ce que j'ai fait, pour les erreurs que j'ai commises. Je n'avais pas l'intention de vous blesser mais au moins, vous m'avez ouvert les yeux. Je ne peux pas mentionner tout le monde mais en tous cas je tiens à présenter mes excuses à tous ceux qui m'ont croisé. Je tiens à présenter mes excuses à tous ceux qui m'ont fait souffrir, à tous ceux qui m'ont aimé, à tous ceux qui me détestent et à ceux qui m'apprécient encore. Ce n'était pas vraiment moi. Je n'avais pas l'intention de vous tromper ou de vous blesser. Je ne savais pas qui j'étais. A partir de maintenant, je ferai de mon mieux pour être ce que je suis vraiment.

10 septembre 2009

Soliloque d'un putain de penseur

Bonjour à tous. Oui, ça fait longtemps que j'ai rien posté... Mais bon, disons que j'étais pas dans une bonne phase en ce moment, du moins au niveau de l'écriture. Je sais pas s'il y a encore beaucoup de gens qui me lisent mais bon, je poste. Voici un texte un peu étrange, pas forcément de bonne qualité mais y a des mots qui forment des phrases donc on dira que ça reste un texte. J'vous en dis pas plus, bonne lecture.



« C'est quoi, la loi de ce monde ? »

L'homme sort un paquet de cigarettes et en porte une à ses lèvres. Puis, il prend son briquet et l'allume. La première bouffée. Libératrice. Il expire lentement, la fumée sortant de sa bouche en fines volutes. Puis, enfin, il regarde autour de lui. Il n'y a personne sur la jetée, ce qui est étrange pour une belle soirée estivale. A croire que tous les touristes et promeneurs se sont éclipsés pour que l'homme se retrouve seul avec ses démons intérieurs et ses pensées torturées. Tourné vers la ville, il peut entendre au loin sa douce symphonie, celle des voitures, des rires joyeux et des aboiements agressifs.

« Ouais, agressif. C'est comme ça qu'il est, ce monde pourri. Alors c'est quoi, cette putain de loi, hein ? Est-ce qu'il y en a une, au moins ? Est-ce qu'on a vraiment besoin d'une loi ? Je ne parle pas de celles du gouvernement, bien sûr. »

L'homme ne put s'empêcher de glousser et de lever les yeux au ciel en secouant la tête. Il avait l'air un peu fou avec ses cheveux sombres lui tombant jusqu'aux épaules, ébouriffés. Ses yeux hallucinés, d'un bleu si clair qu'on le croyait gris, donnaient l'impression de scruter la nuit d'un regard froid, presque indifférent.

« Allez, regardons un peu notre monde. Tu peux me dire que tout est couleur, que tout est forme. J'suis d'accord. Maintenant, ferme les yeux. Ne remarques-tu rien ? Tu devrais. Tout est bruit. Où que tu sois, il y aura toujours un son. Le silence n'existe pas. Enfermes-toi dans ta chambre. Tu entendras toujours le son des voitures par les fenêtres. Va dans une forêt – pendant qu'il en reste encore -, tu entendras le chant des oiseaux et celui de la nature, bien que ce ne soit pas désagréable, entre nous. En ville, je t'en parle même pas. Et les sourds alors ? Bah ils ont de la chance. Ils n'entendent rien, encore qu'ils ressentent les vibrations provoquées par les sons. Personnellement, je préfèrerais être sourd qu'aveugle. Tu fermes les yeux et là... coupé du monde. Le pied total. Mieux qu'un shoot d'héro. Au moins comme ça, on a plus à supporter l'humanité.

Parce que je vais te poser une question maintenant. C'est quoi le but de l'humanité ? C'est quoi, ton but dans la vie ? Sérieux, t'es content de ta vie là ? T'as un boulot, p'têt une femme -si t'as d'la chance et que t'es pas trop boutonneux. Ou alors t'as rien mais là j'parle des gens qui se croient heureux. Remarque, si toi t'y aspires, tu peux te sentir concerné. Alors, c'est quoi le bonheur ? Avoir une femme, faire des gosses, gagner du fric et se la péter auprès des copains en disant « Ouais, j'fais de la politique de temps en temps, ça m'botte, c'est marrant. » ? Ouais, elle est géniale ta vie. Si tu crois à ça, c'est con pour toi. Enfin, heureusement qu'ils font pas tous de la politique parce que là, on serait foutus. Déjà que ceux qu'on a là-haut, des fois on a bien envie de se foutre de leur gueule... C'est plus triste que drôle, remarque.

Donc, j'disais. Si tu penses que ta vie c'est boulot, baise, copains/copines, bah t'as rien compris. T'es au courant que dans « vivre », y a « vie » ? Et là j'parle pas de perpétuer l'espèce, hein. Encore que, c'est un noble dessein... Mais est-ce que tu vis pour toi après ? Pour les chrétiens, y a un type qui a parlé de 7 péchés capitaux : la paresse, l'orgueil, la gourmandise, la luxure, l'avarice, la colère et l'envie. Je veux bien admettre que profiter de la vie sans pécher, ça doit être compliqué. Mais pourquoi tu te prends la tête ? Dieu n'existe pas. Tu me crois pas ? Ouvre la fenêtre et regarde. Si t'es à la campagne... Bah regarde-toi dans un miroir.

L'être humain est moche, non ? Sérieux, fous-toi à poil devant la glace et regarde attentivement. On est pas de la bonne couleur pour passer inaperçus, nan ? Enfin sauf les Noirs, la nuit on les voit pas. Sauf s'ils sourient. Nan, observe-toi bien attentivement. On est grands. Pour la plupart, j'veux dire. Vive la discrétion. Notre peau est molle, flasque. Un rien la transperce. Nous sommes lourds, patauds. Notre équilibre est toujours précaire. Et puis au niveau de la forme, c'est pas très harmonieux. On est nettement moins bien pourvus que d'autres espèces animales. Dieu, s'il existe, a sous-payé les designers et oublié des options. »

La cigarette de l'homme est depuis longtemps consumée. Maintenant il est tourné vers la mer, les mains enfoncées dans les poches de son blue-jean, veste sur l'épaule. Observant l'étendue bleutée sans la voir et reprenant le cours de ses pensées. Puis, il sort à nouveau son paquet et rallume une tige de tabac. La première bouffée. Libératrice.

« Le seul avantage qu'on a, ce sont nos mains et notre cerveau. Enfin, surtout nos mains parce que le cerveau, on a pas spécialement appris à s'en servir. Nan, j'avoue que nos paluches, elles sont quand même bien pratiques. A la fois instruments de force et de précision. Pour soulever des troncs d'arbre ou manipuler un stylo. Quand on sait écrire, évidemment.

Est-ce que notre cerveau est une bénédiction ? J'en suis pas sûr. Derrière moi, y a une ville. Ces grands bâtiments de béton où on s'entasse tous, c'est intelligent. Ces centrales nucléaires, c'est intelligent. Et puis les armes aussi c'est intelligent, à la limite. Par contre se frapper sur la gueule, voire même se tuer pour posséder un lopin de terre ou quelques pièces de monnaie, ça c'est une putain de belle connerie. Et y a que nous pour faire un truc pareil. L'être humain n'est qu'un sale petit connard égoïste et prétentieux qui s'amuse à dézinguer ses copains pour quasi que dalle. Et ça, j'peux te dire que ça m'fait bien marrer.

Tout ça pour dire que c'est quoi, la loi qui régit ce monde ? La loi du plus fort ? Marche et ferme ta gueule ? T'as la version politique, aussi : « Ecoute et vote pour moi ». Et surtout, cherche pas à réfléchir hein, c'est mauvais pour ta santé. Laisse les autres décider pour toi. Conneries.

Donc, j'vais pas poser la question une nouvelle fois, j'crois que t'as pigé le principe. Moi, j'ai ma réponse. Mais j'peux pas te la donner. Ça, c'est la mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle... c'est que même si l'être humain n'est qu'un imbécile, tu peux peut-être trouver ta vision des choses. Garde juste ça pour toi hein, sinon on va te prendre pour un original après. Comme moi. Si tu tiens à tes amis, ferme ta gueule et subis. Si t'en as rien à foutre... »

L'homme a toujours les yeux dans le vague. Il jette un coup d'œil à sa cigarette et la laisse choir sur le sol. D'un coup de talon, il l'éteint et, dans le même mouvement, quitte la grève.

(© Forge-Rêves, 2009)

15 avril 2009

Mélancolie africaine

Bonjour à tous. Désolé pour mon absence prolongée mais j'ai une excuse : les grèves universitaires, blocages et autres protestations en tous genres... Nan, c'est pas une excuse en fait. Au programme, l'achèvement de la seconde partie de Cheveux Blancs. Et ce petit texte qui vient couronner quelques mois d'écriture.

C'est un texte que l'on m'a demandé, sur le thème de ce que j'ai vécu pendant mes voyages humanitaires au Mali. Il est destiné à être enregistré oralement par moi-même et à paraître sur un CD qui sera mis en vente par nos soins. Bonne lecture !


Il n'a pas pleuré, lui. Et moi, aujourd'hui encore, même huit mois après, je peine à ne pas verser de larmes en repensant à lui. Ce petit enfant qui, au fin fond de la brousse africaine, était allongé sur un simple matelas de mousse.

Ferme tes yeux, laisse-toi aller. Laisse-moi te conter cette histoire. La réalité de l'Afrique. Une de ses vérités.

Sous tes pieds crisse la terre battue, mêlée de sable. Tu ouvres la grande barrière verte, en fer, pour entrer dans l'enceinte du dispensaire sous la chaleur accablante. Tu marches tranquillement vers le bâtiment beige, le bâtiment des consultations. Tu passes devant deux patients qui attendent que le travail reprenne après la courte pause du midi. Une femme essaie d'allaiter son enfant mais celui-ci a l'air un peu absent. Tu penses qu'il a simplement besoin d'être réhydraté. L'autre patient te montre une plaie au bras et tient un petit sac noir. Sûrement quelques compresses, un vaccin anti-tétanique, peut-être. Ça va être pour toi.

Tu tournes à droite pour entrer dans la salle de consultation puis à gauche, la salle d'examen. Tu déposes ton sac, en sors ta blouse et l'enfile rapidement. Une blouse blanche alors que tu n’as que 18 ans, en première année de médecine. Tu prends une bouteille d'eau et humecte tes lèvres. La journée va être longue. Tu fouilles dans ta poche et en extrais un petit flacon en plastique contenant du savon antiseptique. Tu en déposes une petite noix dans la paume de ta main avant de frotter énergiquement. L'odeur entêtante de l'alcool te parvient aux narines. Tes mains sont sèches, tu peux sortir : il est l'heure.

Tu sors de la salle et tu vois que l'homme à la plaie a déjà disparu. Tu passes la tête dans la salle d'opération, une simple pièce séparée en deux, pour les piqûres à droite et pour les opérations à gauche. L'homme est dans la partie de gauche en compagnie d'un infirmier qui a déjà commencé à nettoyer la plaie. Tu t'approches sans un mot et l'infirmier, dont le crâne rasé se couvre déjà de sueur, te tend en souriant un morceau de coton imbibé d'alcool. Tu le prends entre tes doigts et commence à nettoyer la blessure purulente. De l'intérieur vers l'extérieur, grâce à de petits mouvements circulaires. Ne jamais retourner vers l'intérieur. L'opération dure plusieurs minutes. L'infirmier hoche la tête doucement et bande la blessure. Il fait passer le patient dans la partie de droite. Tu prends le sac en plastique noir et en sors une petite ampoule jaune ainsi qu'une seringue contenue dans un sachet stérile. Tu brises le bout de la capsule. De la quinine, un antipaludéen. Tu déchires le plastique pour libérer la seringue, y ajuste l'aiguille avant de la plonger dans l'ampoule et d'extraire le produit. L'infirmier demande au patient s'il préfère avoir l'injection dans la cuisse ou dans la fesse. Quelle importance, ce sera la fesse. Tu lui demandes de s'asseoir et de baisser son pantalon. Tu prends le morceau de coton tendu par l'infirmier et traces les repères habituels. Fesse séparée en quatre, tu piques dans la partie supérieure et externe. Tu injectes doucement le produit avant de retirer l'aiguille d'un geste sec et presses le coton sur la minuscule insertion. Tu indiques au patient de prendre le relais avant de jeter l'ampoule vide ainsi que la seringue.

Tu sors de la pièce, du savon antiseptique plein les mains, et tournes à droite pour entrer dans la salle de repos. La mère et son enfant ont été rejoints par le père. Tous trois sont assis sur le lit central, entourés du médecin, d'un infirmier et d'une stagiaire blanche. L'enfant a le bras gauche garrotté et l'infirmier essaie de repérer une veine pour faire la transfusion. Tu observes le liquide dans la bouteille : il est un peu jaunâtre. De la quinine, encore. L'infirmier dit un mot, d'un ton grave. Un juron, certainement. Il pique une fois, secoue la tête. Il a manqué la veine. Il pique, encore et encore. Tu es impuissant : tu ne sais pas faire d'intraveineuse. Tu n'es d'aucune utilité. Tu ne peux même pas tenir l'enfant : il ne bouge presque pas. Sa respiration est sifflante. Les parents de l'enfant t'observent. Ils doivent se demander pourquoi tu ne fais rien alors que tu aides dans la salle d'opération. Tu détournes les yeux vers leur enfant, allongé sur le matelas en mousse simplement recouvert d'une bâche en plastique gris-noir. Il est passé au bras droit pour chercher une autre veine. Après avoir piqué plusieurs fois, il abandonne et passe le garrot à la jambe gauche. Le pied délicat de l'enfant tressaute lentement et la stagiaire blanche le prend dans sa main pour éviter qu'il ne bouge. L'infirmier pousse un nouveau juron. De la sueur recouvre maintenant ses tempes pendant qu'il plante l'aiguille plusieurs fois dans la jambe de l'enfant. Tu es hypnotisé par son travail. Il n'y arrive pas. Tu es frustré et triste à la fois. Le médecin se lève et sort de la salle. L'infirmier plante l'aiguille une nouvelle fois, puis une autre. Le médecin revient avec une autre poche en plastique. De l'eau glucosée dans laquelle il plante une seringue de quinine. Il l'accroche à une potence et plante l'aiguille dans le ventre de l'enfant, en sous-cutanée. Le mélange forme une poche sous la peau du bébé et peine à se diffuser dans son organisme. L'infirmier ne trouve pas de veine et place la perfusion en sous-cutanée à son tour avant de sortir de la pièce. L'ultime alternative à l'intraveineuse. Son travail est terminé, l'enfant est impiquable.

Toi qui croyais en la médecine, tu te rends compte qu'il y a des cas où il n'y a rien à faire. Où tu ne peux qu'observer, incapable, la mort voler des âmes. La respiration de l'enfant se fait rauque. Tu ne peux défaire tes yeux du ventre de celui-ci, qui peine encore à se soulever, gonflé par les deux solutions qui se diffusent lentement. Plusieurs minutes passent. Tu sens les regards des deux parents se poser sur toi. La femme a un boubou bleu, le père une chemise blanche -tu t'en souviendras toujours. Tu ne peux plus supporter leurs regards et sors de la pièce. Tu descends les marches du dispensaire et te diriges, sonné, vers un banc, non loin de là. Tu restes prostré, te raccrochant à un unique espoir : voir cet enfant repartir vivant et souriant.

Tu entends des pas crisser sur la terre battue, mêlée de sable. Puis des pleurs. Tu relèves la tête. Les deux parents tiennent un paquet de bâche bleue. Leur chair, leur enfant. Frappé de plein fouet par le paludisme. Tes yeux écarquillés ne peuvent se détourner de la scène, la mère pleurant à chaudes larmes et le père, triste mais digne devant la mort.

Tu n'avais jamais vu la mort auparavant. Tu savais simplement que cela ôtait la vie de quelqu'un mais tu ne l'avais jamais vue à l'œuvre. Et là, un enfant que tu as vu quelques instants plus tôt est décédé. Sans vie. Une simple poche sans aucun contenu. Un cadavre.

Tu rentres au campement en titubant. Tu as préféré rentrer seul, perdu dans tes pensées. Tu erres dans la brousse et, d'un seul coup, éclates en larme. Tu es incapable de crier. Tu t'es simplement rendu compte que la vie peut être éphémère, qu'on peut la perdre n'importe quand, n'importe où. On est tous les mêmes face à elle. Face à la mort.

Qu'a-t-il manqué ? Jamais il ne connaîtra la joie de jouer avec ses camarades. Jamais il n'ira à l'école apprendre le français ou les mathématiques. Jamais il ne s'émerveillera devant ces toubabous, ces blancs qui viennent les aider alors qu'ils habitent si loin. Toi, tu es venu avec tes convictions, tu repars sans illusions. Dans quelques jours, tu rentreras en France et tu reprendras ta confortable petite vie…

Tu te relèves et reprends ta route. Pour lui, tu ne pleureras plus. Lui n'a pas pleuré. Mais ça ne t’empêchera pas de revenir, grâce à lui et pour tous les autres. Il y a tant de choses à vivre.

Bien sûr que l'Afrique est un continent merveilleux. Mais il est aveugle aussi. Il tue sans distinction : hommes, femmes, enfants. Aussi colérique qu'accueillant, il nous marque... à vie.

(© Forge-Rêves, 2009)

30 décembre 2008

Agonie

Bon, j'ai assez parlé dans mon précédent message alors... Bonne lecture !

 

Un jour, je décidai de naître.

Alors, seules deux couleurs dominaient : le gris et le bleu. Le sol était en pierre, sorte de croûte immuable que rien ne pouvait atteindre. Le bleu, on le trouvait uniquement dans le ciel, une étendue pure et unie. Le seul mouvement qu’on pouvait percevoir était celui de cet astre blanc qui errait dans le ciel, observant avec ennui cette boule de glaise immobile. Car à part cette révolution, rien ne bougeait ; tout était mort. Mais mon arrivée bouleversa cet équilibre archaïque.

J’observai les environs et trouvai le monde bien ennuyeux. Ce monde immuable était trop morne. Je décidai de changer cela. Je laissai vagabonder mon esprit au ras de la pierre grise et pris conscience de mes pouvoirs, lentement. Soudain, je compris. J’allais créer de la vie.

Forte de cette nouvelle conviction, je m’ébrouai et me réchauffai tant et si bien que de la vapeur sortit de mon corps. Celle-ci s’éleva lentement dans les airs et forma des amas que je nommai « nuages ». Le vide se remplit peu à peu de cette vapeur et lorsque la pression devint trop forte, ces nuages éclatèrent en des milliards de petites gouttes d’un liquide transparent. De l’eau. Cette eau remplit les crevasses dans la pierre, causées par des météorites qui étaient tombés sur le monde. Peu à peu, des mers se formèrent à la surface mais le liquide s’enfonça également dans le sol. La pierre qui était restée émergée se fissura et certains blocs partirent à la dérive sur les océans. Enfin, tout s’arrêta. J’avais créé mon creuset, mon athanor ; je repris alors mes travaux initiaux : créer de la vie.

Une force m’envahit alors, une bouffée de fraîcheur que j’exhalai. Je tendis les mains, mû par une sensation étrange et de petites formes apparurent lentement. Je me penchai et les observai : c’étaient de simples petites lignes d’une couleur qui n’existait pas encore. Du « vert », de l’« herbe ». Je me rendis compte alors qu’elle dégageait un doux parfum qui me revigora. L’herbe respirait ! J’avais créé de la vie ! La fierté s’empara de moi et je poursuivis mon œuvre. Je modelai des arbres, des buissons et des choses que je pus manger : des fruits, des légumes. Je me nourrissais de mes créations et cette fièvre artistique empira. Je devins bientôt entièrement dépendante de ce que je réalisais. Il ne se passait pas une journée sans que je ne mange une partie de mes œuvres. Je le savais, pour étancher cette soif il me fallait donner la vie à quelque de plus grandiose encore, quelque chose de plus vivant que ces arbres qui ne bougeaient que grâce au vent.

Je tombai malade : ce qui était vert ne me suffisait plus à me rendre de l’énergie. Durant des années entières, je travaillai sur un nouveau projet. Tous mes pouvoirs passaient dedans et je ne pouvais m’arrêter une seule seconde pour me nourrir. Il me fallait continuer. Jusqu’à ce que, enfin, je créai une chose. Une toute petite entité, une simple idée que j’allais élever et faire grandir. La tâche était compliquée : je n’avais jamais rien créé de si complet.

Si créer de l’herbe et des arbres était simple… créer un véritable être vivant était beaucoup plus difficile. Cependant j’y arrivai et bientôt, le premier « organisme » fut créé. Je la regardai muter au fur et à mesure de sa vie jusqu’à ce que je ne puisse plus supporter : je la dévorai. Mais j’avais compris comment les réaliser, si bien que je me remis au travail et que je créai une multitude de nouveaux « poissons ». Je commençai par des choses simples, caparaçonnés de la tête à la queue puis leur donnai plus d’esthétisme et de vitesse. Je remarquai bientôt que les plus faibles avaient tendance à se faire manger par les plus forts et les plus rapides. Je donnai à chacun des moyens de défense efficaces pour éviter que tous ne meurent dès le début de leur vie.

Chacune de ces espèces évolua. Certaines disparurent, d’autres naquirent. Lorsqu’une espèce devenait trop puissante, j’intervenais pour la détruire et recommencer mon œuvre. J’utilisai cette technique pour éliminer les « dinosaures ». Ma suprématie était sans faille, j’avais le droit de vie et de mort sur toutes mes créations. Le monde n’était qu’un vaste jeu dont j’étais la seule et unique maîtresse. Je me nommai « Nature », un mot qui rappelait toute ma puissance et ma souveraineté incontestée.

Jusqu’au jour où une nouvelle créature apparut. Elle se regroupa rapidement avec ses congénères dans des grottes dont elle chassa les occupants. Au début, elle était comme tous les animaux que j’avais déjà créés : faible et gauche, elle ne savait que ramasser des baies et autres fruits afin de survivre. C’était l’« humain ». Mais peu à peu, cet humain se mit à faire des choses étranges : il prit un silex et l’attacha à l’aide d’une liane au bout d’un bâton. Ce fut l’une des premières inventions de l’homme, qui se mit alors à chasser. Il découvrit également le feu, puis l’élevage. L’homme était un animal intelligent mais destructeur. Il était presque aussi intelligent que moi, même si nous n’avions pas le même objectif. Je créais, il tuait. J’étais curieuse. Curieuse de voir jusqu’où pouvait aller cette nouvelle espèce qui évoluait rapidement. Je la laissai en vie.

Je m’aperçus alors qu’à chaque fois que l’humain tuait, je me sentais rassasiée. J’étais soulagée. Je ne compris que bien tard que j’avais mis une trop grande partie de moi-même dans ces inventions. Ces humains… chacun d’entre eux m’avait volé une part de mes pouvoirs. Certains s’en servaient pour créer, élever des bêtes, cultiver des plantes, réaliser des objets utiles ou artistiques. D’autres choisissaient la voie de la destruction, pillaient les fermes, détruisaient leurs récoltes, violaient les femmes et, lorsqu’ils étaient de bonne humeur, égorgeaient simplement les hommes.

Cependant, grâce aux morts que l’humain m’offrait, je n’avais plus besoin de tuer mes propres œuvres : il faisait cela tout seul. Un équilibre avait été atteint et je n’avais plus besoin d’intervenir dans ce monde. Je le croyais sincèrement.

Lorsque l’humain fit de nouvelles trouvailles, il voulut créer des « religions ». Chacun d’entre eux me vouait un culte. J’avais plusieurs noms : Zeus, Isis, Astarté, Quetzalcóatl et d’autres encore. Avec ces dieux, l’humain créa des « civilisations ». Alors que, jusqu’ici, chacun de ses individus était semblable, ils commencèrent à se diversifier. Différents modes de vie apparurent, nomade, sédentaire, opulent, vivrier. L’humain n’était plus un être uniforme. J’avais déjà pu observer cela chez certaines espèces comme le singe. Ce dernier avait muté mais leurs habitudes étaient restées semblables. Chez l’humain, c’était totalement différent, nouveau. C’est comme si de nouvelles espèces humaines étaient nées. Au début, tout était pacifique, chacun restait dans son coin. Mais la soif de pouvoir et de connaissances les gagna et leur fit élargir leurs frontières. Il combattit ses pairs, pour des terres, pour des ressources. Il tuait toujours, tant et si bien que j’étais toujours repue – je ne savais plus ce qu’était la faim.

Les panthéons multiples disparurent bientôt, chaque peuple décidant de me louer dans mon intégralité. L’humain me nomma Yahvé, Dieu. D’autres n’osaient pas me donner de nom. Cela me plaisait. En échange de leur soumission, je leur donnais des cadeaux, leur offrait de bonnes récoltes. Dès qu’ils me contrariaient, je leur envoyais une tempête pour décimer leurs champs. Je pouvais également convaincre des dirigeants d’autres pays de leur faire la guerre. J’avais tout pouvoir sur les hommes. Malgré leur intelligence, ils ne restaient que des jouets, aisément manipulables. Entre temps, ils trouvèrent de nouvelles méthodes de cultures, récoltaient de nouveaux métaux pour créer des objets inédits. Il inventa la monnaie, des petits bouts de métal qui avaient une valeur selon leur masse. Chaque ville créa ses propres pièces, avec des formes et des dessins gravés dessus. Outil économique et politique, montrant la puissance de la terre où elle avait été fabriquée.

L’humain inventa sans cesse, mû par la curiosité – par l’argent et le pouvoir, également.

L’humain est devenu fou. Il se fait la guerre, encore, toujours. Mais cette fois, ce sont des massacres, où même les non-soldats se font tuer, sans pitié aucune ni remords. Plus de conflits ouverts, que des guerres sales, où les soldats pénètrent dans des immeubles de béton et fusillent tout, sans distinguer les militaires et les civils. Seules les statistiques importent. Mais ces cas sont tout de même rares. La plupart du temps, l’humain reste caché derrière toute une batterie de boutons et de manettes. Dès qu’il appuie quelque part, des explosions retentissent, des chiffres suivent aussitôt. « Vingt-sept morts, très beau tir ». Les morts ne me rassasient plus. Elles me dégoûtent.

Je suis défigurée. Bouffie, avachie, détruite. Et surtout, impuissante. J’ai essayé de les tuer, pourtant. J’ai envoyé la mer à l’assaut de leurs constructions, je provoque des coulées de boue, des avalanches puis, des éruptions volcaniques, des tremblements de terre, des ouragans. Je voulais lui faire entendre raison, détruire des vies pour lui montrer sa misérable condition d’humain. Mais il ne m’écoute plus, ne me vénère plus. Je ne suis devenue qu’une contrainte pour lui. Ma création m’assassine, lentement. Ses forets mécaniques pénètrent de plus en plus profond dans le sol, ses usines polluent les mers, détruisent les autres êtres vivants. Des jungles entières sont décimées par des mains avides de nouvelles terres, de nouvelles richesses. L’homme a évolué de par ses techniques mais sa mentalité est toujours la même depuis ce qu’il appelle Antiquité, alors qu’il se croit plus mûr, plus responsable de ce qui l’environne. S’il se sentait vraiment responsable et intelligent, il aurait arrêté de détruire. Seul l’argent et le pouvoir comptent.

Cependant, le règne de l’humain va s’achever. Je suis la Nature, sa créatrice. Il m’assassine, je ne peux rester là sans rien faire. Si l’humain ne veut plus m’écouter… qu’il soit annihilé. Alors qu’il tue son semblable, invente sans cesse de nouveaux moyens de détruire son univers, il prend trop de temps pour tout anéantir. Le premier acte fut la création du monde. Le second acte fut l’apparition de l’humain. Le troisième acte raconte ma rébellion ; je prends les armes contre mes créations. Coulées de boue et inondations, tremblements de terre et éruptions volcaniques, raz-de-marée et cyclones, symboles constants de ma colère. Mais l’humain est fort, il résiste à mes tentatives pour le détruire.

Quatrième et dernier acte : l’Agonie. Il n’est pas trop tard pour déclencher la dernière œuvre de la Nature. Je provoquerai la Dernière Bataille, celle qui provoquera la défaite de l’humain et ma mort – je ne saurais lui survivre. Puisse mon successeur créer de meilleures œuvres. Qu’il en soit ainsi.

(© Forge-Rêves, 2008)

Publicité
Publicité
1 2 3 > >>
Pensées d'un Forge-Rêves
Publicité
Pensées d'un Forge-Rêves
Archives
Derniers commentaires
Publicité