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Pensées d'un Forge-Rêves
22 janvier 2010

Errance en sastrugi

Blah ! Voici un texte très différent du précédent, nettement plus travaillé. J'espère que vous apprécierez. Bonne lecture !

 

J'observe le paysage monotone autour de moi. D'une blancheur immaculée, il s'étend aussi loin que mon regard peut porter. Je ne prends pas la peine de déchausser mes skis, je m'enfoncerais dans la neige. Soupirant, je repousse ma capuche sur mes épaules et retire mes épaisses lunettes. Aussitôt, le froid assaille mes yeux et fait monter des larmes. Je secoue la tête pour les chasser : elles gèleraient aussitôt. Pris d'une soudaine folie, je retire également la cagoule qui recouvre le reste de mon visage, libérant mes cheveux de jais. Je sens le froid s'insinuer en moi, transperçant mes poumons comme si une armée de moustiques avaient décidé de me piquer de conserve. Une sensation à la fois agréable et terrifiante : elle me rappelle que je vis encore mais certainement pour peu de temps. Je prends plusieurs bouffées d'air glacé et passe une main gantée dans mon épaisse crinière, l'ébouriffant. Je m'accroupis, m'appuyant sur un de mes bâtons pour éviter de chuter et sors de mon sac une tranche de viande séchée. Je la mâche lentement ; elle est dure et peu appétissante.

Après cette courte pause, j'enfile à nouveau mes protections contre le froid, me relève et observe les traces sur le sol. Plusieurs lignes parallèles s'éloignent sur les dunes gelées. Ce sont ces traces que je suis. Pour le moment, je m'estime chanceux de pouvoir les distinguer encore, aussi je dois-je pas perdre mon temps. Je m'élance à travers les dunes de neige d'environ un mètre de hauteur. On appelle ça des sastrugi, qui se forment grâce aux vents qui déplacent la neige en mortels récifs.Je jette un coup d'œil sur le ciel gris ; je ne vois pas le soleil et ne peux donc pas m'orienter. Ma seule chance sont ces infimes traits dans la neige. La course doit reprendre. Pendant plusieurs heures, je glisse péniblement sur les barkhanes glacées, m'efforçant de ne pas chuter et perdre ainsi plusieurs minutes à me dégager de l'étreinte de la neige. Le paysage ne change qu'à peine, les vagues se succédant dans mon champ de vision autour des fameuses traces que je poursuis inlassablement. Mais le temps qui jusqu'alors s'était montré clément avec moi décide de se déchaîner.

Tout d'abord le vent se lève. La neige vole autour de moi, formant des tourbillons de poudreuse s'insinuant de façon perverse dans mes vêtements et fondant aussitôt contre ma peau. Je m'arrête et tente de colmater les brèches pour éviter de finir comme un glaçon. J'essuie mes lunettes contre la fourrure qui me sert de manteau et continue mon chemin, inlassablement. Le vent souffle dans toutes les directions et la neige qu'il charrie efface les traces à mes pieds. J'ai perdu tous mes repères. La tornade enneigée s'intensifie encore autour de moi et je ne vois plus qu'à deux mètres devant moi. Il est trop dangereux de continuer, je briserais mes skis. Je déchausse et sors deux couvertures de fourrure de mon bagage. J'en pose une première sur mes skis et m'emmitoufle dans la seconde. Autour de moi, je sens que la tempête fait rage, le vent hurle à mes oreilles en passant entre les vagues glacées. Une de celles-ci se brise et me recouvre. Mes mains se referment sur mes skis et je me relève, perçant le toit enneigé au-dessus de moi. D'aucuns diraient que tout est chaos mais en vérité... je ne parviens pas à voir ce qu'il se passait autour de moi. Je cherche alors la meilleure solution. Puis-je encore espérer trouver un chemin à travers ce blanc désert ? J'en doute fort. Les flocons glissent entre mes vêtements mais je ne peux rester allongé : la neige finirait par me piéger en un éternel carcan. Alors je marche. Les skis sont inutiles : je ne vois rien et je pourrais les briser contre une crête. J'avance difficilement, la neige brouillant ma vision. Je ne distingue même plus mes pieds, je me contente d'errer dans ce maelström. Et plus mes jambes me portent, plus je perds espoir. L'espoir... quelle chose éphémère. Pendant un moment, nous croyons être heureux puis les ennuis nous tombent dessus. Ils nous tournent autour, comme ces maudits flocons de neige jusqu'à nous envahir complètement sans avoir la possibilité d'avancer. Mais il faut lutter, comme je le fais maintenant. Relever la tête et continuer son chemin.

Perdu dans mes pensées, je file droit, essayant de garder le vent du même côté pour ne pas dévier de ma trajectoire. Plusieurs heures passent ainsi et les bourrasques ne faiblissent pas, me faisant chuter et m'empêchant parfois même de me relever. Mais j'y parviens toujours, armé de ma simple volonté. C'est elle qui garde mon corps debout et qui force mes pieds à avancer, l'un après l'autre. Cependant... toute arme s'émousse un jour. Mon corps se met à protester et mon cerveau est également au bord de la révolte. Je m'accroupis à nouveau pour manger une tranche de viande séchée et boire une gorgée d'un alcool fort au goût de miel dont la chaleur irradie dans mon corps tout entier. La fatigue s'éloigne de mon corps mais la mélancolie étreint mon âme. Mes certitudes tombent peu à peu. Jamais je n'arriverai à sortir d'ici vivant. J'en suis à présent convaincu. Mais ma fierté m'empêche de baisser les bras et des phrases idiotes me viennent à l'esprit. « Plutôt mourir à debout qu'à genoux. », « Il faut lutter jusqu'au dernier souffle. ». Je ne me rends compte que ce ne sont que des conneries. Il n'y a ni honneur ni fierté dans la mort. La mort, c'est que de la charogne.

Lorsque je comprends cela, rien n'a plus d'importance. J'éclate de rire dans ma cagoule, jette mes skis sur le sol et je m'allonge entre deux crêtes de glace. Le froid me prend peu à peu dans ses bras, anesthésie mes muscles et coupe la sensibilité de mes extrémités. Peu m'importe de mourir maintenant ou plus tard.

Vivre n'a plus aucun intérêt si je ne peux même plus voir où je vais.

Vivre n'a plus aucun intérêt si rien ne peut me détourner de ma tristesse.

Vivre n'a plus aucun intérêt si je ne sais plus espérer.

Vivre n'a plus aucun intérêt si je suis sûr de mourir.

Je m'endors doucement dans les bras des sastrugi.

Je ne sais pas combien de temps j'ai dormi. J'ouvre les yeux et ne distingue que du blanc. Je sens mes lunettes autour de mes yeux, le contact de la cagoule sur mon visage. Je ne suis donc pas mort ? Je bouge un bras, légèrement. Il manifeste son mécontentement en restant raide mais je le sens. Je bouge la tête et la neige crisse autour de moi. Je suis vivant. Je perce la fine couche de glace autour de moi et me relève péniblement. La lumière explose devant mes yeux. Je place ma main au-dessus de mes lunettes et observe autour de moi mais les sastrugi sont toujours autour de moi. La joie se peint sur mon visage, au moins puis-je voir le soleil. Je ramasse mon sac et me prépare à reprendre la route. A pied ; j'ai perdu mes skis. C'est un peu comme perdre une partie de soi après une grande bataille de la vie. Mais au final, on se relève toujours.

(© Forge-Rêves, 2010)

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